Ce système de production millénaire a toujours fait preuve d’adaptation et de résilience

Delphine Bousquet

Réunis à Grand Bassam les 8 et 9 novembre, les acteurs du Projet de Dialogue et d’Investissement pour le Pastoralisme et la transhumance au Sahel et dans les pays côtiers (PREDIP) ont fait le bilan après 3 ans de mise en œuvre. Si des réalisations concrètes dynamisent la filière, l’insécurité et des décisions étatiques la fragilisent.

Changer la perception de la transhumance dans la sous-région

788 kilomètres de pistes sécurisées, 20 points d’eau, 14 aires de pâture, 5 marchés à bétail, 5 quais d’embarquement. La liste des infrastructures réalisées dans les 9 pays d’intervention (Mali, Burkina Faso, Niger, Nigéria, Bénin, Togo, Côte d’Ivoire, Ghana et Guinée) montre que le pari a été tenu. D’un côté, la sécurisation de couloirs stratégiques  et leurs aménagements permettent le déplacement plus apaisé des troupeaux dans les espaces transfrontaliers et à l’intérieur des pays alors que les conflits agriculteurs-éleveurs ont attisé les tensions ces dernières années. De l’autre, la création de marchés à bétail et l’amélioration de leur gestion dynamisent le secteur. Et puis, au-delà de ces réalisations concrètes, le projet a notablement changé la perception de la transhumance dans la sous-région. « Jusque-là, elle était considérée comme source de conflits. Les gens ont commencé à comprendre le rôle économique majeur qu’elle joue  aussi bien pour les pays de départ que pour les pays d’arrivée», remarque Kodzo Nyuito, chargé de programmes agribusiness durable à la Délégation de l’Union Européenne à Lomé. L’UE cofinance ce programme de 13 millions d’euros avec l’Agence Française de Développement.

Eleveurs et collectivités main dans la main

Si le projet a pu enregistrer de telles avancées, c’est grâce à deux principes : d’abord, il prend comme ancrage les regroupements des communes (intercollectivités), et pas les communes, pour avoir une cohérence avec une activité qui se déplace et met en lien les espaces. Ensuite il est mis en œuvre par un dispositif réunissant les éleveurs, à travers leurs organisations professionnelles, et les collectivités locales avec l’appui des services de l’Etat. « Si on veut accompagner un développement pérenne de la filière, il y a un intérêt à travailler avec les groupements d’éleveurs et les collectivités qui sont propriétaires des infrastructures et qui doivent les entretenir », explique Cédric Touquet, chargé de programme Afrique à Acting for Life, ONG française, chef de fil d’un consortium de 14 partenaires impliqués dans le projet. Cela passe par de nouvelles façons d’agir.

Exemple dans les Collines au Bénin : ce département du centre, où l’élevage mobile s’est développé, est traversé saisonnièrement par les troupeaux venus du Nigéria voisin, ce qui a engendré de nombreux conflits, parfois meurtriers entre agriculteurs et éleveurs, ces dernières années. L’UDOPER (Union Départementale des Organisations Professionnelles d’Eleveurs de Ruminants) et le GIC (Groupement Intercommunal des Collines qui rassemble 6 communes) collaborent. Ensembles, ils ont organisé des débats informés afin de sensibiliser la population aux enjeux du commerce du bétail. « Les résultats sont probants, analyse Raymond Dossou, du GIC. Le fait qu’on s’associe avec les professionnels de la filière donne confiance aux acteurs. Ils ont compris que l’élevage peut contribuer au développement. ». Les deux entités travaillent main dans la main pour formaliser les marchés à bétail, désormais gérés par des comités de gestion. « Avant c’était flou, les maires voulaient s’impliquer directement et prendre leur part, souligne Bouhari Sambo de l’UDOPER. Le GIC, qui représente les communes, est facilitateur pour contractualiser la gestion ». Résultat : les recettes ont augmenté dans les 4 grands marchés. A Savè, le principal, elles sont passées de 7 millions en 2019 à presque 18 millions de FCFA en 2021. Ce scénario est moins avancé dans les zones où les intercollectivités sont balbutiantes et dans celles qui sont en proie à l’insécurité.

Photo par Anderson Akue

Des dynamiques sérieusement menacées

Tous ceux qui viennent de la bande sahélienne le confirment : les attaques terroristes, la présence de groupes armés perturbent notablement le pastoralisme. Au sud-est du Burkina Faso et au sud-ouest du Niger, régions touchées depuis plusieurs années, la mobilité est réduite et de plus en plus, le convoyage des animaux se fait par camions. Autre conséquence : l’approvisionnement en bovins des marchés s’est réduit et les recettes ont chuté. Mais tout se complique aussi à l’ouest, dans la bande Mali-Burkina Faso-Côte d’Ivoire. C’est le cas autour de Sikasso, 2e ville malienne par sa population. « L’arrivée massive de pasteurs et d’agropasteurs qui fuient le nord suscitent des tensions entre éleveurs et agriculteurs locaux », témoigne Ousmane Kassambara, de l’Union Régionale de la Filière Bétail Viande.

Dans le nord de la Côte d’Ivoire, où le contexte sécuritaire s’est dégradé, le parcours des transhumants venus des pays sahéliens change, comme le raconte Amadou Coulibaly de l’Organisation Professionnelles des Eleveurs de Ferkessédougou. « Maintenant ils descendent vers le centre du pays, c’est nouveau. Ils le font d’une part pour trouver de l’eau et des pâturages, et d’autre part pour être en sécurité car il y a beaucoup d’amalgames : Peuls égalent djihadistes ».

Certaines décisions politiques ont aussi un impact négatif. Le Bénin a interdit la transhumance transfrontalière en décembre 2019. Résultat, au Niger, le bétail s’est massé le long de la frontière, entraînant une forte pression sur les ressources (avant que le gouvernement béninois n’autorise début mars 2020 le passage de 50 000 bovins). A l’intérieur du Bénin, les projets gouvernementaux de sédentarisation du bétail génèrent de nouvelles querelles. Kader Djobo, coordonnateur de l’UDOPER Atacora-Donga, au nord, constate « une recrudescence des conflits domaniaux dûs à la dégradation des pâturages par les herbicides ou à l’installation de cultures à la lisière des campements peuls qui sont là depuis très longtemps ».

« Nous sommes à un tournant », reconnait Soulé Bio Goura, assistant technique élevage et pastoralisme à la CEDEAO. On ne sait pas encore quelle direction sera prise mais une chose est sûre : ce système de production millénaire a toujours fait preuve d’adaptation et de résilience.

Article rédigé par Delphine Bousquet, journaliste indépendante au Bénin.

Atelier Grand Bassam
Participants à l’atelier de Grand Bassam – Photo par Anderson Akue