Depuis plusieurs années, Acting for Life suit de près l’évolution de la situation agropastorale dans les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, aux côtés de ses partenaires locaux. La dernière Note d’Analyse Territoriale Agropastorale (septembre 2024 – février 2025) met en lumière une détérioration préoccupante du climat social, sécuritaire et économique pour les acteurs de la filière.

Des tensions accrues entre agriculteurs et éleveurs dans la Donga (Bénin)

Jusqu’à récemment, le département de la Donga (nord-ouest du Bénin) avait été relativement épargné par les tensions entre agriculteurs et éleveurs. Cette situation d’équilibre est aujourd’hui fragilisée par deux dynamiques :

  • la poursuite du déplacement vers le sud des éleveurs fuyant les zones d’insécurité frontalières,
  • et l’installation de familles réfugiées, notamment burkinabè, sur des terres historiquement à usage pastoral.

Résultat : les tensions s’intensifient, avec l’observation de deux phénomènes au niveau du départements comme le départ de 47 familles d’éleveurs vers d’autres pays (Ghana, Togo, Cameroun), ou encore l’augmentation inquiétante des cas d’empoisonnement de troupeaux (409 cas enregistrés sur six mois, soit près de 70 par mois).

Vols de bétail persistants dans l’Atacora

Plus au nord, dans l’Atacora, les vols de bétail continuent malgré une légère baisse du nombre de cas grâce au déplacement des troupeaux hors des zones à risque. Ainsi, sur la période septembre 2024-février 2025, 277 têtes de bétail ont été volées.

Par ailleurs, la décision de la Guinée d’interdire la transhumance transfrontalière jusqu’en mars 2026 vient bouleverser les itinéraires traditionnels. Bien que les flux commerciaux soient théoriquement exclus de cette interdiction, l’impact se fait déjà sentir sur les marchés à bétail de la région (Sababou Branama, Doropo, etc.), avec une baisse du nombre d’animaux et des fluctuations de prix à surveiller.

Guinée : la filière bétail soumise à des contraintes spécifiques

En janvier 2025, une communication officielle des Ministère de l’administration du territoire et de la décentralisation et le Ministère de l’agriculture et de l’élevage, pose l’interdiction de la transhumance transfrontalière jusqu’au 1er mars 2026.

La mobilité des animaux à des fins commerciale ou de consommation n’est pas concernée mais est soumise à l’obtention d’une autorisation préalable d’importation. Cette décision va avoir un impact sur le nombre d’animaux présent sur le territoire guinéens en provenance des pays frontaliers, notamment le Mali et la Côte d’Ivoire. S’il est encore trop tôt pour mesurer les impacts sur la filière agropastorale, la fluctuation des prix des animaux, de la viande ou de la disponibilité en lait sont à surveiller en lien avec la baisse du nombre d’animaux présents sur les territoires.

Ghana : une stabilité fragile et des tensions entre agriculteurs et éleveurs

Depuis la fin de l’année 2021, la municipalité de Bawku est le théâtre d’un conflit interethnique, qui a parfois perturbé le commerce du bétail.

Une analyse des données de vente au marché à la fin de l’année 2024met en lumière deux éléments clés :

Stabilité des ventes : les ventes de bétail au marché de Bawku semblent avoir gagné en stabilité, avec des fluctuations saisonnières comparables à celles observées les années précédentes, notamment avant la résurgence du conflit intercommunautaire. En 2024, les ventes sont restées régulières durant la majeure partie de l’année, avec un pic notable en décembre. Cette stabilité pourrait s’expliquer par le renforcement des mesures de sécurité dans la zone et l’implication active des acteurs du marché. $

Une stabilité fragile dans un contexte d’insécurité : une légère baisse des ventes de bétail en octobre 2024 pourrait indiquer une recrudescence de l’insécurité locale, à la suite du retour d’un chef rival à Bawku. Bien que cette baisse ne soit pas marquée, elle illustre la sensibilité du marché aux conditions sécuritaires, soulignant ainsi la fragilité de l’activité économique dans un environnement instable.

Une recomposition des circuits commerciaux en Côte d’Ivoire

Dans le Bounkani (nord-est de la Côte d’Ivoire), les tensions s’étendent, entre vols de bétail violents (dans le Téhini) et conflits autour des cultures de rente comme l’anacarde (à Doropo et Bouna). Les agriculteurs cherchent à protéger leurs récoltes, tandis que les éleveurs en quête de pâturages se heurtent à des restrictions croissantes.

Le marché à bétail de Doropo, historiquement alimenté à plus de 90 % par le Burkina Faso, se transforme :

  • des circuits locaux émergent, alimentés par les troupeaux de réfugiés et d’éleveurs autochtones,
  • un début de réexportation vers le Burkina est observé, malgré l’insécurité,
  • tandis que les achats directs en zone rurale se développent, contournant le marché formel.

Palaga (Tchologo) : un canton fermé aux éleveurs

Fin 2024, les autorités traditionnelles du canton de Palaga ont ordonné l’expulsion de tous les éleveurs, résidents ou transhumants. Officiellement pour des raisons de sécurité et de préservation des ressources naturelles, cette mesure traduit aussi des tensions locales autour du contrôle foncier et du rôle des autorités coutumières. Les conséquences sont lourdes : pertes économiques, envolée du prix de la viande, et surtout une stigmatisation accrue de la communauté peule, avec des départs massifs de troupeaux vers d’autres régions ou pays.

Blocages aux frontières et contournements illégaux

À la frontière Guinée–Côte d’Ivoire, de nombreux troupeaux ont été bloqués suite à l’interdiction guinéenne de la transhumance. Des efforts de médiation ont permis la réorientation de certains vers d’autres régions (Bafing), mais des éleveurs n’ont eu d’autre choix que d’entrer illégalement en Guinée, au risque d’accroître leur vulnérabilité.

Une violence ciblée envers les éleveurs à Bilimono

La situation est particulièrement préoccupante dans la sous-préfecture de Bilimono (Côte d’Ivoire), où des violences répétées contre les éleveurs ont été enregistrées : destructions d’habitats, abattages d’animaux, interdictions d’accès aux ressources en eau et pâturages, agressions physiques. Malgré les plaintes, aucune réponse judiciaire n’a été apportée à ce jour, ce qui aggrave le sentiment d’impunité et de marginalisation.

Le marché de Cinkassé (Togo) : une fermeture temporaire, un symbole de résilience

Enfin, au Togo, la fermeture du marché régional de Cinkassé en octobre 2024, suite à l’état d’urgence sécuritaire, a temporairement mis à l’arrêt une plateforme commerciale essentielle pour toute la région. Grâce aux plaidoyers d’acteurs locaux, il a pu rouvrir un mois plus tard, avec une nouvelle organisation visant à renforcer la traçabilité des animaux et la sécurité des transactions.


Agir pour prévenir les conflits et accompagner les adaptations

Ces constats confirment une tendance structurelle : l’espace agropastoral ouest-africain est en recomposition accélérée sous l’effet conjugué des crises sécuritaires, climatiques, foncières et politiques. Les interdictions de mobilité, les blocages aux frontières et les tensions entre communautés accentuent la précarisation des pasteurs et la pression sur les ressources. Dans ce contexte, Acting for Life et ses partenaires poursuivent leur engagement pour :

  • faciliter le dialogue entre acteurs,
  • renforcer les dispositifs de veille et d’analyse territoriale,
  • appuyer les filières pastorales dans leur transformation,
  • et promouvoir des solutions concertées de prévention des conflits et de cohabitation durable.

Découvrez la dernière Note d’Analyse Territoriale Agropastorale publiée sur la période septembre 2024 à février 2025.